DIAPASON
« Pour ce jeune mouvement révolutionnaire, la double barre est d’abord une philosophie, un principe de vie, une manière de penser, avant d’être un symbole physique de la musique — la fin d’une séquence. La double barre, c’est un projet doublement émancipateur, des codes musicaux et de l’État. »
LE PROGRÈS
« Collectif des Double=Barres, en référence à Raymond Barre, ancien maire de Lyon ? Notre cher maire et homme d’État doit se retourner dans sa tombe. »
TÉLÉRAMA
« IElles rêvent d’une école non compétitive.
IElles rêvent d’excellence d’entraide.
IElles rêvent de séparer la musique de l’État.
IElles rêvent de naturaliser les personnes étrangères pour “services rendus à la musique”.
IElles rêvent d’un droit à la création.
IElles rêvent d’autosuffisance nécessairement suffisante.
IElles rêvent d’un État concertinale libre avec l’alliance diplomatique du CCR d’Ambronay.
IElles rêvent surtout de la reconnaissance de leur mouvement des Double=Barres. »
MUSIQUE CLASSIQUE & CO
« Ce mouvement des Double=Barres cherche à déconstruire un mouvement esthétique qui va de la période baroque à aujourd'hui. Va-t-il parvenir, dans son envie révolutionnaire, à intégrer l’underground de la musique classique ? À faire exister institutionnellement ce qui a été nié par l’institution, à savoir l'ensemble des mouvements autodidactes ? C’est tout l’enjeu de ce mouvement de barrés, mais peut-être pas si barré que ça. »
JOURNAL DE LA COMMUNE D’AMBRONAY
« Le Centre culturel de rencontre d’Ambronay a toujours été du côté du renouveau esthétique, en participant notamment à la redécouverte de la musique baroque dans les années 1970-1980, grâce à l'appui d’un fort réseau de bénévoles. Va-t-il créer une alliance diplomatique avec ce mouvement des Double=barres ? L’ouvrage Barrés, barristes, barrouf rend cette alliance fondamentale pour l’avenir de cette République autoproclamée qu’est devenu le CNSMD de Lyon. Le CCR d’Ambronay, par les valeurs dont les bénévoles du festival d’Ambronay sont des porteurs, jouera un rôle pilote en matière d’exigence et d’excellence d’entraide dans la musique de chambre. »
LIBÉRATION
« À tout cheminement précède un point de départ. Le collectif des Double=Barres avait déjà des alliés au CNSMD de Lyon, notamment des profs inscrits dans cette dynamique autarcique, en tant que simples compagnons de route. Ce mouvement des Double=Barres ne fait que statuer des éléments qui étaient déjà en mouvement et qui souffraient d’invisibilité institutionnelle. »
RÉSEAU DES CENTRES CULTURELS DE RENCONTRE
« Ou comment le changement de statut du CNSMD de Lyon va redistribuer les cartes du conflit musique ancienne/musique contemporaine. La bibliothèque en devenir du nouvel État va-t-elle privilégier les répertoires de musique ancienne face à la musique contemporaine peut-être trop présente depuis quelques décennies, et mettre le Centre culturel de rencontre d’Ambronay au cœur de sa gouvernance ? »
LE FIGARO
« Pourquoi ce collectif des Double=Barres dit “révolutionnaire”, militant pour un enseignement horizontal, ne s’associe-t-il pas avec La République des musiciens anonymes, aux revendications très similaires et portée sur les musiques actuelles ? Nous les encourageons à travailler de concert, pour (enfin) reprendre le pouvoir sur Spotify ou Deezer et supprimer définitivement les droits d’auteur afin d'exploiter l’ensemble des ressources musicales mondiales. »
TRAX — LE MAGAZINE DE L’ÉLECTRO
« Depuis l’indépendance du CNSMD de Lyon, l’on peut jouer du Bach au clavecin et parallèlement jouer dans un groupe de rock électro. C’était quelque chose de totalement invisibilisé dans le fonctionnement de l’ancien CNSMD de Lyon. Espérons que cette double pratique — certes minoritaire — aura toute sa place dans ce nouvel État musical et aura le soutien total du CCR d’Ambronay, à l’avant-garde des mouvements tant musicaux que sociétaux. Pourquoi ne pas installer une ambassade diplomatique au CCR d’Ambronay, pour une porte d’entrée vers le CNSMD de Lyon, à l’adresse de publics qui ne pourraient pas se déplacer à Lyon, ou qui auraient des profils différents ? »
LE FIGARO
« Le CNSMD de Lyon n’étant plus sous la coupe de l’État français, les artistes évoluant en son sein devraient renoncer au statut d’intermittents du spectacle. Une charge financière en moins pour la France, qui ne s’en portera pas plus mal. Qu’ils s'amusent donc avec leur modèle autarcique, leur pratique musicale sans relations marchandes, sans cachets. Pour sûr, le CCR d’Ambronay ne manquera pas d’idées pour aider ces révolutionnaires à faire déjà la révolution pour eux-mêmes. »
ART PRESS
« Chapeau bas ! aux élèves du CNSMD de Lyon : leur mouvement des Double=Barres met en acte un livre paru en 1976, La Soi-Disant Utopie du Centre Beaubourg, de Affeulpin, qui imagina la mise en place dans les sous-sols du Centre Pompidou d’une vie collective et autonome, explorant ainsi divers domaines : art, amour, sexualité ou encore : éducation, politique, culture. »
Lyon, janvier 2022. Une fameuse école de musique et de danse est renversée par des élèves. Pas n’importe lesquels : les siens. Dans la foulée de l’insurrection, les élèves forment le collectif des Double=Barres et créent les fondements d’un micro-État. En avant l’entraide, l’excellence qui unit et rassemble, le troc libérateur. En avant, le silence dans les échanges, où les danseurs se retrouvent enfin : la double barre, c’est la fin d’une séquence musicale, et l’ouverture aussi à la multiplicité des langages.
Avec l’appui du Centre culturel de rencontre d’Ambronay, devenu une ambassade, les Double=Barres construisent leur indépendance, rêvent d’un ailleurs où la musique irriguerait la vie, remplirait son rôle social, et dépoussiérerait les esprits.
Référence de ce nouvel État, indivisible, laïque, démocratique, social et non compétitif, ce livre-manifeste jette les bases de ce qui deviendra l’État libre des Barrés.
Ou comment l’excellence d’entraide est le nouveau médium par lequel le musicien devient totalement musicien.
Chapitre 1
La prise de pouvoir s’est faite au Conservatoire national supérieur musique et danse (CNSMD) de Lyon par les élèves lors d’un concert qui s’est très mal passé. Les cuivres, notamment des trompettes et des trombones, avaient joué un arrangement de cordes : émeutes historiques au sein du CNSMD de Lyon : jets d’instruments sur scène, bagarre entre musiciens, cris d’oiseaux, chaises et pupitres fracassés. Ces tensions entre le département des cordes et le département des cuivres ont fissuré l’ordre institutionnel. L’insurrection et la prise de pouvoir se sont faites le soir même.
Chapitre 2
Autrefois couvent, le CNSMD de Lyon abrite de grands jardins, qui nourrissaient toute la communauté religieuse. C’est fort de cette histoire que nous avons choisi de retrouver cette autonomie. L’organisation de ce micro-État fut très rapide, avec une autosuffisance revendiquée : nous mangeons la nourriture de nos jardins, cultivons des vignes et buvons notre vin. Outre le verger, il y a de très belles serres, qui permettent également de produire des légumes une bonne partie de l’année. Et puis il y a ce petit jardin ornemental avec sa roseraie, pour nous nourrir d’une certaine beauté spirituelle.
Chapitre 3
Nous avons de nombreux sous-sols au conservatoire, que nous avons transformés en cachot. Pour l’instant, la majorité des profs y « réside », surveillés jour et nuit par des élèves volontaires. Les conditions de leur libération sont connues : rejoindre notre mouvement et appliquer les nouvelles lois.
Ces profs sont évidemment bien traités, ils ont le droit à leur dose d’écoute musicale quotidienne, parfois en live.
Pour le moment, ils ne possèdent ni visa ni statut clair au sein de ce nouvel État double barriste. Par conséquent, nous ne pouvons pas les laisser circuler sur le territoire (c’est constitutionnel). Les cachots sont confortables ; certes, ils se situent sous terre, mais des temps de promenade sont programmés deux fois par jour, et la température est acceptable malgré le dôme de chaleur qui frappe la Région Auvergne-Rhône-Alpes depuis le début de cette révolution.
Chapitre 4
On sait que certains profs sont allergiques à tout changement ; ils sont destinés à être expulsés. Mais nous serons vigilants à ne pas mettre au ban les personnes qui ne pensent pas comme pensent les double barristes. Nous militons pour que d’autres sensibilités puissent être reconnues à la tête du nouvel État. Nous avons constitué un groupe éthique pour réfléchir à ces questions.
Chapitre 5
Pourquoi rester dans les locaux du conservatoire ? C’est une question que l’on nous pose régulièrement et il s’agit d’y répondre dans ce livre-manifeste. Ce n’est pas tant une scission qu’une prise de pouvoir. La révolution de 1789 ne s’est pas faite en dehors de la France. La révolution des Double=Barres ne se fera pas en dehors du CNSMD de Lyon. Nous sommes attachés à ce petit lopin de terre qu’est ce conservatoire, une extension de la pratique artistique en soi, tant il respire la beauté. Résider dans ces lieux aidera à déployer le potentiel de cette nouvelle nation musicale, et à fabriquer un modèle à l’échelle mondiale.
Chapitre 6
Nous sommes un collectif et nous avons à cœur de trouver un mode de gouvernance plus horizontal. Le régime parlementaire est à l’étude, mais nous n’avons pas de chambre assez grande pour réunir une assemblée digne de ce nom. Peut-être allons-nous nous inspirer de la manière dont les Suisses procèdent, par référendums réguliers.
Dans tous les cas, notre point d'intention sera le suivant : comment l’organisation non pyramidale et décentralisée du nouvel État CNSMD de Lyon pourrait-elle conduire à de nouvelles relations entre habitants qui ne se parlaient jamais — l’effet Royaume —, et permettraient de facto l’émergence de nouvelles pratiques artistiques horizontales : les chanteurs mettront-ils leurs corps en chorégraphie et déclameront-elles ? les musiciennes danseront-elles leur musique et la raconteront-ils ? le festival de musique ancienne d’Ambronay deviendra-t-il le lieu de diffusion des Pratiques Artistiques Horizontales Émergentes — les fameuses PAHÉ ?
Chapitre 7
La compétition peut être un moteur pour certains élèves, mais peut aussi en détruire d’autres plus fragiles et qui supportent mal d’être toujours comparés. Il s’agit donc de rétablir l’égalité de traitement des élèves, et de travailler plutôt sur des appréciations. Aussi avons-nous proposé de supprimer les évaluations notatives et les notes sanctions : recherche du vocabulaire pour apprécier une interprétation, plutôt que recherche de la note sur échelle de valeurs, n’est-ce pas autrement ambitieux ? Nous faisons en sorte que les élèves puissent jouer les uns avec les autres, sans se juger, en essayant d’adopter un regard positif et encourageant pour les autres. Nous avons résumé cette pratique non compétitive sous le vocable excellence d’entraide.
Chapitre 8
Nous avons mis en place un troc pédagogique : dans la relation traditionnelle maître-élève, il y a toujours quelque chose de descendant, entre celui qui sait et celui qui ne sait pas. En réalité, on ne sait jamais rien du tout. Un de nous est par exemple très mauvais pianiste et bon tricoteur ; il se trouve qu’il a besoin du piano dans sa compétence. Il a pu très simplement échanger des leçons de piano contre des leçons de tricot.
Chapitre 9
Dorénavant, au CNSMD de Lyon, on ne donne jamais sans recevoir, et on n’assène jamais un enseignement sans penser qu’on a besoin d’être enseigné. Le troc va devenir notre art de vivre, en quelque sorte. Avec un système de conversion extérieure en ce qui concerne la monnaie, suivant le conseil de l'économiste Thomas Piketty.
Chapitre 10
Dans le troc, vous contez une histoire à la personne qui prépare votre repas.
Dans le troc, un caillou que vous avez trouvé beau peut tout aussi bien être échangé contre deux minutes de musique jouée en live.
Dans le troc, des citoyens du nouvel État CNSMD de Lyon peuvent interpréter une partition conçue par leur soin dans leur salon — même de l’électro-baroque — contre une balade en canoë sur la Saône.
Dans le troc, la valeur du fait musical est indépendante de l’esthétique.
Chapitre 11
Nous le savons : l’intelligentsia européenne attend du CNSMD de Lyon une exemplarité, comme l’indépendance en matière de lutherie et de fabrication d’instruments. De grands luthiers nous enseignent déjà leur savoir-faire. Pour le futur recrutement, nous essaierons de valoriser les élèves qui auraient cette compétence manuelle de fabrication d’instruments. Pour aller vers « la lutherie nouvelle ».
Chapitre 12
Nos instruments de prédilection sont fabriqués au sein du conservatoire, dans le micro-État. Des instruments qui ont une place importante dans notre vie quotidienne… et dans les débats.
Nous voulons révolutionner la musique elle-même. Comme nous voulons aussi révolutionner la pensée musicale dans les débats.
Chacun et chacune d’entre nous peut exprimer ses convictions par le jeu instrumental, qui a autant d’importance que la parole et doit être inscrit comme tel dans nos procès-verbaux. Le soulèvement dans cette école prestigieuse, au système séculaire, a été décidé lors d’une « discussion musicale ». La Constitution a commencé à être écrite avec nos instruments. La langue juridique se prête bien à la musique.
Au commencement était un son.
Et de ce son sont sorties des institutions.
Le son est devenu un verbe.
Et le verbe est devenu une action.
Chapitre 13
« La musique pour tous et toutes, par tous et toutes, avec tous et toutes » est notre credo. La musique est dans la vie de nos concitoyens et concitoyennes, non en dehors. En référence à la période baroque, l’art fait partie de la vie sociale. Il n’est pas seulement au cœur de la cité ; il en est le cœur.
Nous sommes dans une démarche de démocratisation de la musique. Nous attendons d’un partenariat avec le CCR d’Ambronay de pouvoir multiplier les évènements, qui donneraient au public le sentiment d’être au cœur de l’art et des manifestations artistiques. Aussi, ce ne serait pas un évènement de-ci de-là, mais un évènement continu. L’art en permanence. L’art et la vie enfin reliés. Par le CCR d’Ambronay.
Chapitre 14
Enfin, nous n’oublions pas le silence. La double barre, c’est une invitation au silence.
Le silence est essentiel à la musique, puisque le son serait le positif, et le silence le négatif.
C’est le silence qui nous fait apprécier le son, et c’est le son qui nous fait apprécié le silence. La nécessité fondamentale de la notation musicale est la notation du silence. Du non-musical.
Nous avons des réunions silencieuses, ouvertes à l’expression corporelle de nos amis les danseurs. Mais le silence n’est jamais total : nous sommes toujours pris par les sons. Nous devons prendre conscience des bruits du monde. Le silence est inscrit dans la Constitution.
Benjamin, Esther, Irène et Nathan aiment jouer de la musique jusqu’au bout de la nuit. Benjamin, Esther, Irène et Nathan fabriquent leur instrument. Benjamin, Esther, Irène et Nathan sont à la recherche de symbiose d’une vie en autarcie consacrée à la musique. Benjamin, Esther, Irène et Nathan sont libres et ensemble. Benjamin, Esther, Irène et Nathan sont les auteurs et autrices de ce manifeste pour l’art en liberté. Benjamin, Esther, Irène et Nathan rêvent d’une utopie concrète et représentent le collectif des Double=Barres.
Ambronay (Ain, France)
Centre culturel de rencontre d’Ambronay (CCR)
Ouvrage conçu lors de la rencontre du 3 mars 2022, proposée à des professionnel·les, des habitant·es du territoire, les résident·es de la maison Gabriel-Rosset d’Ambérieu-en-Bugey et des bénévoles du CCR d'Ambronay.
En présence de : Benjamin Bouille, Esther Bry, Irène Hontang, Nathan Magrecki (dans les rôles des auteurs et autrices) — Alain Baudry (dans le rôle du co-modérateur).
Avec la complicité espiègle d'Emmanuel Ducreux, professeur au Conservatoire national supérieur musique et danse (CNSMD) de Lyon, et de David Christoffel, poète, compositeur et créateur radiophonique, notamment de l'émission « Métaclassique ». Cette expérience du Livre imaginaire a alimenté la fiction radiophonique, Barrer, diffusée le 4 mai 2022.
Coordination du projet : Marina Roche-Lecca.